C’est il y a deux ans qu’était sanctionné le Projet de loi 55 [1] modifiant certaines dispositions du Code civil du Québec [2] (ci-après « C.c.Q. »). Ces modifications étaient alors plus qu’intéressantes puisqu’on venait mettre en place un cadre assez prometteur en matière, entre autres, pour les poursuites civiles en lien avec des violences à caractère sexuel.
Après deux années marquées majoritairement par une pandémie mondiale ainsi que par toutes les adaptations nécessaires en de telles circonstances, il est bien pertinent de se demander quels ont été les impacts de ce changement législatif.
Ce qu’il nous faut premièrement admettre, c’est que la situation plutôt particulière des deux dernières années a eu pour effet de créer une sorte d’éclipse juridique. En effet, il n’est pas rare de rencontrer des juristes n’ayant encore jamais entendu parler des modifications apportées par le Projet de loi 55 ou qui le qualifient toujours de droit nouveau alors que la mesure est en place depuis déjà un certain temps. Il semble donc tout indiquer de débuter le présent bilan par un récapitulatif de l’ensemble des changements prodigués par le projet de loi dans le but de cerner dans quel environnement baigne maintenant la qualification d’excuses en droit civil.
Commençons donc par l’élément en titre de cette chronique : les excuses. D’entrée de jeu, il convient de s’inspirer d’un article fort pertinent de Romane Bonenfant et Michaël Lessard [3] qui reprend les grandes lignes du Projet de loi 55. Suivant cette lecture, nous comprenons que la toute première mesure est celle du nouvel article 2953.1 C.c.Q. se lisant comme suit :
En somme, il n’est plus possible de retenir des excuses formulées par une personne contre elle. Cette affirmation est vraie autant pour ce qui est de la détermination de la faute, que pour l’évaluation du quantum des dommages. Autrement dit, des excuses répondant à la définition assez large du troisième alinéa de 2853.1 C.c.Q. ne peuvent tout simplement pas être introduites en preuve devant quelque tribunal civil que ce soit.
Nous reviendrons plus loin sur les impacts et visées d’une telle mesure. Cependant, nous sommes en droit de se demander, au-delà de son aspect général et prometteur, que pouvait être la vision du législateur suivant cette modification législative? Pour s’en faire une idée, les autres dispositions du projet de loi nous éclairent à merveille. En premier lieu, le législateur a modifié la prescription civile applicable à divers types de préjudices :
Il faut donc en déduire que les recours en matière d’agression sexuelle, de violences subies pendant l’enfance ainsi que de violence conjugale sont imprescriptibles dans la mesure où ces gestes peuvent constituer une infraction criminelle. Le législateur prévoit toutefois une exception en imposant une limite de trois ans pour ce qui est des cas où le demandeur ou le défendeur décède.
Une troisième disposition majeure est présente au sein du projet de loi. Le législateur permet que ceux dont l’action fut rejetée préalablement à la modification au Projet de loi 55 suivant la prescription de leur recours aient trois ans pour redéposer leur dossier devant un tribunal. Pour ce faire, trois conditions doivent être satisfaites:
Donc, une fois tout cela mis bout à bout, il nous est possible de voir ces modifications comme un tout coordonné visant un domaine bien sensible de préjudices. Le législateur permet ainsi une plus grande ouverture pour les recours futurs tout en maintenant la porte ouverte à ceux et celles n’ayant pas pu en bénéficier dans le passé, et ce sans égard l’âge du recours en question. En venant ainsi abolir le délai de prescription applicable, le législateur vient en quelque sorte reconnaître que les préjudices visés sont d’une importance telle qu’ils ne peuvent être assujettis à une date de péremption.
Compte tenu du traitement particulier réservé dorénavant aux excuses, on comprend qu’une toute nouvelle dynamique vient d’être instaurée suivant laquelle, d’un côté, on permet un plus grand nombre de recours et, de l’autre, le législateur vient intervenir directement au sein de la négociation entre les parties en fermant les yeux sur les excuses prononcées de part et d’autre.
Malgré l’aspect prometteur de cette nouvelle législation, l’établissement d’un bilan est quelque peu difficile suivant l’absence de décision, référant directement au nouvel article 2853.1 C.c.Q. Effectivement, il ne semble pas y avoir eu de débat judiciarisé ayant comme élément principal l’expression d’excuses de la part de l’une des parties. Il faut toutefois reconnaître que le libellé de 2853.1 C.c.Q. est assez catégorique et laisse peu de place à l’interprétation.
En définitive, les changements législatifs précités constituent un premier pas vers un traitement évolué et plus adapté aux cas d’agressions sexuelles et de violences conjugales ou commises pendant l’enfance. Ceux-ci ne manqueront pas d’avoir un impact substantiel sur les relations parfois complexes entre les parties à des litiges de cette nature.
1 - Loi modifiant le Code civil pour notamment rendre imprescriptibles les actions civiles en matière d’agression à caractère sexuel, de violence subie pendant l’enfance et de violence conjugale, Projet de loi no 55 (sanctionné – 12 juin 2020), 1ère sess., 42e légis. (Qc).
2 - Code civil du Québec, RLRQ c CCQ, 1991.
3 - Romane Bonenfant et Michaël Lessard, « Violences sexuelles : une nouvelle loi réforme la prescription et protège les excuses », Blogue du CRL, Jeune Barreau de Montréal, juillet 2020.
4 - Idem note 2, art. 2853.1.
5 - Idem, art. 2926.1.
6 - Idem note 1 art. 5.